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Ordre des licenciements : comment renseigner les critères des qualités professionnelles sans mécanisme d'évaluation ?

Dans le cadre du dispositif d'homologation du plans de sauvegarde de l'emploi (PSE) élaboré par voie unilatérale, le Conseil d'État admet que, pour la définition des critères d'ordre des licenciements, l'entreprise qui n'a aucun processus d'évaluation puisse substituer au critère des qualités professionnelles un indicateur tiré du montant des primes d'assiduité.

En cas de licenciement avec plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), c’est-à-dire de licenciement pour motif économique d’au moins 10 salariés en 30 jours dans une entreprise d’au moins 50 salariés, l’employeur peut élaborer lui-même le PSE sous forme de document unilatéral ou le négocier avec les syndicats.

S'il choisit la voie unilatérale, l'employeur définit lui-même les critères d'ordre des licenciements, sur la base des quatre critères légaux : charges de famille, ancienneté, caractéristiques sociales rendant la réinsertion professionnelle particulièrement difficile et qualités professionnelles (c. trav. art. L. 1233-5 et L. 1233-24-4). Lors de l’examen du document unilatéral pour homologation, le DIRECCTE vérifie notamment la validité de ces critères.

Le Conseil d’État a fixé le cadre de ce contrôle et précisé, entre autres exigences, que le document unilatéral ne pouvait pas écarter un des critères légaux ou le neutraliser (par exemple en décidant que tout salarié aura 1 point au titre des qualités professionnelles). Les juges n'admettent qu'une exception : pour que l'employeur puisse faire l'impasse sur un critère, il faut que, dans la situation particulière de l'entreprise et au vu de l'ensemble des personnes susceptibles d'être licenciées, aucune des modulations légalement envisageables pour le critère en question ne puisse être matériellement mise en œuvre lors de la détermination de l'ordre des licenciements (CE 22 décembre 2017, n° 400649 ; CE 1er février 2017, n° 387886).

L'obligation de prendre en compte, entre autres critères, les qualités professionnelles des salariés peut poser difficulté lorsque l'entreprise n'est pas en mesure d'évaluer son personnel. En effet, il n'y a pas d'obligation légale d'évaluation des salariés. Ce sont les conventions collectives qui, éventuellement, imposent d'organiser des entretiens d'évaluation (cass. soc. 10 novembre 2009, n° 08-42114 D). Précisons cependant que, même en l'absence d'obligation conventionnelle, l'évaluation des salariés est évidemment recommandée, à la fois pour une saine gestion des ressources humaines, mais également pour faire face à d'éventuelles actions en discrimination ou en violation du principe « à travail égal, salaire égal »

Toujours est-il que le Conseil d'État a justement dû se pencher sur le cas d'une entreprise dépourvue de tout système d'évaluation des salariés. Pour renseigner le critère des qualités professionnelles, l'employeur avait élaboré un indicateur tiré du montant des primes d'assiduité versées par l'entreprise, corrigé des variations liées aux motifs légaux d'absence. Pour la cour d'appel, en l'absence de mécanisme d'évaluation, cet indicateur de substitution était valable. Il n'y avait donc pas à remettre en cause l'homologation du document unilatéral par le DIRECCTE. Le Conseil d'État a approuvé cette décision (CE 22 mai 2019, n° 413342).

À titre de comparaison, un autre arrêt du même jour porte sur une association qui avait choisi de prendre en compte, en remplacement des qualités professionnelles, le nombre d'absences injustifiées. Or, cette association avait mis en œuvre depuis plusieurs années un processus d’évaluation professionnelle des salariés. Elle était donc parfaitement en mesure de mesurer leurs qualités professionnelles. D’ailleurs, une version préparatoire du PSE prévoyait de prendre en considération les qualités professionnelles des salariés, sur la base des évaluations en question. Dans ces conditions, le DIRECCTE n'aurait pas dû homologuer le document unilatéral (CE 22 mai 2019, n° 418090).

Notons que l’annulation d’une décision d’homologation pour un motif autre que l’insuffisance du PSE entraîne l’obligation pour l’employeur de verser aux salariés licenciés en application de ce plan une indemnité qui s’élève, au minimum, aux salaires des 6 derniers mois. La réintégration est possible, mais uniquement avec l’accord du salarié et de l’employeur (c. trav. art. L. 1235-16, 1er et 2e al.). Pour rappel, la sanction est toute autre en cas d’annulation pour insuffisance de PSE. Dans cette hypothèse, la procédure est nulle et l’employeur doit réintégrer le salarié qui en fait la demande, sous réserve que cette réintégration soit possible (c. trav. art. L. 1235-10 et L. 1235-11).

CE 22 mai 2019, n° 413342 ; CE 22 mai 2019, n° 418090

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